BERGFELD Simon
« Je suis né le 2 mars 1906 à Samars, un village situé à une trentaine de kilomètres de Cluj, la capitale de la Transylvanie, qui s’appelait alors Kolozsvar, faisant partie de la Hongrie, membre de l’empire austro-hongrois. »
Ainsi commence le récit que Simon Bergfeld fait de sa vie. Il était le second de huit enfants. Son père était un petit boulanger. Sa famille était «sincèrement croyante, mes deux grands-pères et deux de mes oncles étaient rabbins ».
Après avoir suivi les cours de l’école primaire, à l’âge de 14 ans, il entre comme apprenti dans une fabrique de bijouterie et joaillerie. Il se syndique. Attiré par le sionisme, il veut « devenir un des pionniers de ce pays », il obtient un passeport et arrive en France, en 1924, avec l’idée de poursuivre son chemin vers la Palestine.
La France
En France, il rencontre des militants du groupe de langue hongroise, qui l’emmènent à leur club « Unité » (FSGT) et s’inscrit dans une organisation culturelle « Prolet-Cult ». Déçu par le sionisme, devenu athée, il adhère au PCF en 1925. Il va militer dans diverses cellules et sera secrétaire de cellule. En 1928, il se fait naturaliser et fait son service militaire au 14e Bataillon de Chasseurs Alpins à Trèves (Allemagne).
Il va travailler comme plongeur, commis de rang, chef de rang et connaitre le chômage car « la crise était générale et s’étendait à tous les métiers. J’aurais accepté n’importe quel travail, je ne trouvais même pas un place de plongeur ou de garçon de courses. » Travaillant à façon, grâce à l’aide de camarades, au début de l’année 1936, il devient artisan joailler.
En novembre, assistant à une conférence de Rayon du PCF, il répond à l’appel « à tous les camarades qui n’avaient pas de charges de famille et ayant accompli leur service militaire » de partir combattre en Espagne.
Célibataire, il demeurait 10, rue Rossini (Pais 9e)
Simon Bergfeld part sans avertir son père qui, lorsqu’il l’apprendra, lui écrira qu’ « il ne comprenait pas comment un juif pouvait se battre pour l’Espagne après tout ce que l’Inquisition avait fait subir aux Juifs. »
« Je suis parti dans la deuxième quinzaine de novembre 1936. C’était un train spécial, nous étions environ cinq cent et nous avons roulé jusqu’à Perpignan. On nous fit ensuite monter dans des cars. Nous étions censés être des touristes et avons franchi comme tels la frontière française. Mais à la frontière espagnole les carabiniers nous ont empêchés de passer, et nous avons attendu deux à trois heures dans le man’s land, entre les deux frontières, l’arrivée de l’autorisation du gouvernement espagnol. »
L’Espagne
Il rejoint Albacete et après quinze jours d’instruction, il est affecté au Bataillon Henri Barbusse de la 14e BI comme chef de groupe. Il participe à la bataille de Lopera, puis à celle du Jarama (voir le front du Jarama).
Il est envoyé à l’école d’officiers de Pozo Rubio. Rouspétant à table un jour car estimant qu’il était de garde plus souvent qu’à son tour, un lieutenant hongrois ne le laisse pas retourner à l’école et l’enferme dans une pièce. Le commissaire politique de l’école, Villette, doit intervenir pour le libérer. Il sort premier de sa promotion. Cette histoire va avoir des répercussions inattendues. En retournant à sa brigade, le commandant Dumont le convoque.
« Je ne peux pas rester à la Brigade parce que j’ai trop l’esprit critique. Je réponds que nous ne sommes pas dans l’armée bourgeoise : chez nous, quand on prend part à l’action on a le droit à la critique. Il me dit savoir que je me conduis bien au front –puisque j’ai été cité après chaque front – mais que l’armée c’est l’armée […].
Il demande alors sa mutation pour le bataillon hongrois Rakosi. Celle-ci n’étant pas arrivé, il participe à la bataille de Balsain, comme lieutenant du 12e Bataillon Ralph Fox.
Là un commissaire lui raconte
« qu’il avait pour mission de me descendre au premier geste « louche », parce que j’étais suspect d’être un ennemi trotskiste, de la part du commissaire politique de la Brigade, Renaud. […] Au lieu de me descendre, il a fait des éloges sur mon comportement face à l’ennemi, et je fus à nouveau cité.»
il est nommé à l ‘Ordre du Jour de la 14e Brigade (Le Soldat de la République, n°33 du 17 juin 1937 : « A montré son courage et ses capacités militaires au feu. »
Avant de rejoindre le Bataillon Rakosi, il obtient une permission pour Paris. Après des moments de doute et de découragement, il décide de retourner en Espagne :
« j’ai dû traverser les Pyrénées à pied. Toute une nuit j’ai marché avec un groupe, car à la frontière, on nous empêchait de passer. »
Avec le bataillon Rakosi, de la 13e BI, il participe à la bataille de Bunete, puis à celle de Belchite Il reçoit plusieurs éclats d’obus dans la jambe gauche. Il est soigné dans divers hôpitaux (Leciñena, Lerida où le chirurgien lui annonce qu’il faudra lui couper la jambe, Benicassim puis Madrid).
Réformé, il doit être rapatrié, mais le gouvernement français refusant le passage, il est dirigé sur Mataro et en juin 1938 il passe la frontière avec le premier train de grands blessés :
« Après des heures d’attente à la frontière, nous avons pu poursuivre notre chemin vers Paris. Cependant les autorités relevèrent nos noms et adresses, empêchant d’entrer les blessés qui n’étaient pas de nationalité française. Il nous fallut les faire passer illégalement. »
Le retour
Il sera soigné à l’Hôpital Rotschild, puis à la Salpêtrière
La Résistance
Mobilisé en avril 1940, fait prisonnier, il s’évade et rejoint Paris. Il se marie en novembre 1940 avec Andrée Wertenschlag qu’il avait rencontré en 1939. Le couple entre en résistance Suite à une arrestation en septembre 1942, le couple se cache, franchit la ligne de démarcation et s’installe à Marseille. De là, le couple rejoint la Creuse au mois d’Avril 1943.
« [… ] je suis arrivé à trouver la liaison avec la Résistance à Lavaveix-les-Mines. Quand les camarades mineurs ont appris que j’étais un ancien lieutenant des Brigades Internationales, ils m’ont désigné, au mois d’avril 1944, pour former le premier bataillon FTPF avec les groupes du maquis qui étaient déjà installés à La Courtine. »
L’Espagne au cœur
Pour la commémoration du cinquantenaire de la formation des BI, en 1986, Andrée et Simon se rendent à Madrid :
« Au cimetière de Fuencarral, où ne se trouvent plus les tombes – mais où l‘on voit une seulement une très grande plaque commémorative - voyant tomber ses camarades autour de lui, en particulier son copain Lavaux, Simon sentit son angine de poitrine se réveiller. […] Trois docteurs s’empressèrent autour de lui, un Polonais, un Italien, un Allemand, sans compter les espagnols" (Andrée Bergfeld)
Simon Bergfeld meurt le 1er janvier 1992.
La dernière phrase de son récit est un chant à la vie:
« Je m’en vais avec le sourire »
Sources
Simon Bergfeld, « Les souvenirs de ma vie », 120 pages (document photocopié envoyé par son petit-fils Vincent Bryche)
Andrée Bergfeld, « récit », 185 pages (document photocopié envoyé par son petit-fils Vincent Bryche)
RGASPI (Moscou, 545.6.44)