Passage de l'Ebre
Le bataillon Commune de Paris est le premier des bataillons de la 14eBI à franchir l'Ebre à Campredo le 25 juillet. Cette tête de pont résistera deux jours avant de succomber. Voici le récit que fait un des rares survivants, Bob MATHIEU (voir sa biographie),Commissaire politique:
"LE PASSAGE DE L’EBRE Il y a un an, le 25 juillet exactement, l’Armée Républicaine accomplissait cette chose réputée impossible : franchir un fleuve. Et quel fleuve ! L’Ebre et ses 200 mètres de large ; l’Ebre avec son courant rapide ; l’Ebre derrière lequel l’ennemi est solidement retranché depuis des mois ; l’Ebre le « no man’s land » (« no man’s river » serait plus exact) du front de Catalogne.
Car il fallait que l’Ebre fût franchi. C’était cela ou l’anéantissement de l’armée de Valence, qui, depuis des mois, défendait le terrain pied à pied, mais était obligée de le céder pouce par pouce, quel que fût son courage, ne pouvant résister indéfiniment à un ennemi supérieur en matériel et en hommes et constamment renouvelés. C’est pourquoi la Catalogne devait attaquer pour obliger l’ennemi à déplacer une partie de ses forces et dégager ainsi Valence.
Le 25 juillet, la 14e Brigade (la brigade « La Marseillaise ») reçoit l’ordre d’attaquer : Heure H : 0h.30, c’est à dire 15 minutes après que les Volontaires nageurs auront franchi le fleuve à la nage, avec leur ceinture de caleçon garnie de grenades. Ils ont pour mission d’arriver sans bruit sur l’autre rive et de nettoyer les tranchées ennemies, au poignard si possible, pour éviter de donner l’éveil, et à la grenade s’il n’y a pas moyen de faire autrement, de façon à nettoyer le terrain et à permettre aux premières barques d’accoster. A 0h30, les Volontaires nageurs se mettent à l’eau. Ils sont 15 par bataillon. Je suis un des 15 du 1er bataillon (Bataillon « Commune de Paris »). Nous avons pris un départ sans bruit. Nous nageons les poings fermés pour éviter les gargouillements de l’eau. Le courant est très dur et nous devons absolument aller en ligne droite, pour arriver entre deux nids de mitrailleuses. Le fleuve est beaucoup plus large qu’on ne le supposait. On avait parlé de 100 mètres maximum. J’avais affirmé qu’il y en avait au moins 150, il y en a en réalité 200. Le résultat est que certains camarades nageurs ont présumé de leurs forces. L’un se noie au milieu du fleuve. Il crie en se débattant dans la nuit « A moi ! A moi ! » Et je vous assure que ça crie, un homme qui se noie ! Le malheureux donne ainsi l’éveil à l’ennemi. Les mitrailleuses et les armes automatiques entrent en jeu. Un autre nageur se noie, puis un autre, un autre encore, qui se mettent à crier. D’autres encore, épuisés, se noient également. Gauthier, qui nage à coté de moi, aide celui qui est un peu plus loin et qui commence à boire la tasse, à se sauver et le ramène au lieu de départ.
Sur 15, nous arrivons 8 de l’autre côté ; 7 se sont noyés et un huitième a aidé un neuvième à se sauver. Dès que nous arrivons, nous préparons nos grenades et nous cherchons les tranchées. Nous ne les trouvons pas, car elles sont à 400 mètres plus loin, derrière le canal latéral momentanément à sec. Sur le bord du rio, il n’y a que fortins à mitrailleuses et armes automatiques. Ne trouvant pas les tranchées et n’étant que 6, nous décidons de rester où nous sommes, puisque c’est là que doivent accoster les barques, et de faire bonne garde en attendant leur arrivée. En voici deux (deux ont déjà été coulées). Les hommes se hâtent de débarquer et de s’installer en lisière du talus : pas pour longtemps, car l’ennemi s’approche et les premiers arrivés envoient leurs grenades pour déblayer le terrain et permettre aux autres barques d’accoster. Les nageurs repartent chacun vers une barque pour passer les autres unités. Sur le lieu d’embarquement, c’est le flottement, compréhensible, car il est 0h45 et l’on ne sait pas ce qu’il est advenu des premiers débarqués et les grenades qui éclatent sur l’autre rive ne sont point faites pour renseigner.
Les nageurs qui se sont noyés avant l’attaque n’ont pas non plus créé une ambiance favorable. C’est alors que « l’Internationale » retentit dans ma barque. Samson René et Demerdjean, Garabed la reprennent avec moi. L’effet de cette « Internationale » chantée par trois hommes au milieu de l’Ebre, en pleine nuit, est considérable. On se tait immédiatement et immédiatement on est rassuré, car on a reconnu nos voix, on sait que nous avons réussi notre mission.
A 1 heure du matin, la situation est la suivante. Dans notre brigade, qui avait reçu l’ordre d’attaquer pour faire diversion, il n’y a que notre bataillon qui ait réussi sa mission. Les autres n’ont pu accoster, leurs barques ayant été coulé au milieu du fleuve au fur et à mesure de leur arrivée. Par contre, les autres brigades passent sans coup férir et jettent onze ponts dans la nuit. Il faut dire qu’elles trouvent peu de résistance devant elles, le gros des forces ennemies étant massé contre la 14e Brigade et les renforts ne cessant d’arriver contre nous. Au premier bataillon, on continue à passer par barques, pendant qu’on construit un pont de bateaux, que l’on n’arrivera pas à terminer, car les premiers tronçons seront pulvérisés par l’artillerie, dès que le jour poindra. On se bat ferme ; au fur et à mesure que les hommes débarquent, ils s’organisent sur le terrain, obligeant les Maures à se replier au-delà du canal.
Presque tout se passe à la grenade. Le bataillon se bat dans des conditions les plus défavorables, enfermé dans un front de 600 mètres. Il lui faut donc combattre de trois côtés à la fois et assurer sa liaison avec les réserves. Sur l’autre rive, la liaison s’opère par barque. On transporte les blessés à l’aller et l’on revient avec les munitions, le tout sous les feux croisés des mitrailleuses fascistes.
Les barques sont rouges de sang. Mais l’ennemi subit des pertes encore plus grandes, car il fuit en pagaïe à chaque attaque de nos hommes qui foncent à la grenade, et à la défensive, s’il vous plait ! la situation s’aggrave d’instant en instant, car le rio est pilonné par l’artillerie et balayé par les feux croisés des mitrailleuses. Les barques sont coulées les unes après les autres. Il devient de plus en plus difficile de faire passer des hommes et des munitions. Les cadres ont presque tous été tués ou blessés (principalement tués). Les hommes sont admirables. Ils écrivent la plus belle page de l’histoire de la guerre d’indépendance de l’Espagne. On leur a demandé de tenir jusqu’au dernier homme pour paralyser une partie des forces de l’ennemi : ils tiendront jusqu’au dernier homme, ne demandant qu’une chose : qu’on évacue les blessés.
Il n’y a plus de cadres ! Ils en nomment d’autres. Vingt fois, ils iront à l’attaque, dès qu’ils auront des grenades, repoussant l’ennemi, pour permettre l’évacuation des blessés. A 16h30, il ne reste plus une barque. Les munitions sont presque épuisées. Les armes automatiques sont hors de combat. Les hommes résistent toujours à un ennemi qui ne cesse d’affluer, mais qui a peur devant leur courage surhumain.
A 18 heures, devant la certitude de ne plus recevoir de renfort, ceux qui savent nager, une soixantaine, reviennent avec des efforts surnaturels. Ils s’écroulent, épuisés, en arrivant. Le docteur est le dernier, ayant rempli sa mission jusqu’au bout. Les 60 hommes sont ce qui reste des 700 hommes du bataillon « Commune de Paris » et des quelques renforts qui ont pu passer des autres unités de la brigade.
150 hommes valides, ceux qui ne savent pas nager, resteront entre les mains des fascistes, qui n’oseront les approcher que la nuit.
60 hommes sur 800, mais une avance de 25 à 30 kilomètres sur les autres points du front."