SABATIER Emile

De Encyclopédie : Brigades Internationales,volontaires français et immigrés en Espagne (1936-1939)
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Émile est né à Gallargues, le 24 septembre 1909, d'un père français et d'une mère d'origine italienne. Voici le témoignage de sa fille, Angèle Sabatier, sur son enfance et sa jeunesse :

« Ses premières années se déroulent dans un milieu familial chaleureux et des valeurs humaines de respect et d'entraide. Il y puisera tout au long de sa vie pour affronter les circonstances douloureuses qu'il traversera. Il est entouré par sa grand-mère maternelle italienne et son oncle maternel Ingénieur aux Chemins de fer. Mais il est rejeté par la famille SABATIER installée à Saint Gilles qui ne tolère pas d'alliance avec des étrangers. Il est âgé de cinq ans lorsque ses parents se marient avant le départ de son père à la guerre où il est incorporé comme fusilier marin. Il ne les reverra plus. Sa mère s'engage peu après comme infirmière militaire. Elle sera tuée lors du bombardement de la cathédrale de Reims qui servait d'hôpital militaire et son père sera également gazé à Ypres où il décédera. Émile est donc orphelin vers 5/6 ans et c'est sa grand-mère qui s'en occupe aidée par son oncle. En 1920 son oncle participe aux grèves, il est emprisonné et obligé de travailler à la carrière à casser des cailloux, il en meurt. Émile se souviendra toujours de son oncle qui avec des idées de gauche mettait à exécution ce qu'il disait. Il devient pupille de la nation et reste dans le cadre militaire. Révolté par les injustices, rebelle mais très sportif, il intègre le bataillon de Joinville en devenant boxeur poids plume et gagne de nombreux combats. » (1)

Il s'engage dans l'armée et est envoyé en Syrie, sous mandat français depuis 1920. Il y épouse une jeune femme de famille orthodoxe. Il quitte l’armée au bout de 7 ans avec le grade de sergent. Ne supportant plus les contraintes religieuses, le couple se sépare et Emile revient seul en France.

L'Espagne

Emile Sabatier s'inscrit pour participer aux Olympiades de Barcelone, dans la catégorie boxeur. Il rejoint les Milices du 5e Régiment le 18 juillet 1936. Il combat sur les fronts de Talavera et de Madrid. Grièvement blessé, il est hospitalisé à l’Hôpital N° 16 de Madrid où il rencontre une jeune infirmière, Angeles Mora. Une relation se noue entre eux qui se terminera par un mariage en 1938.

En mars 1937, il rejoint, à Albacete, le 20e Bataillon International, qui vient d'être créé. Lors de la bataille de Pozoblanco, le 7 avril, il est gravement blessé à la tête. Le 8 juin, il rejoint son unité (OJ n° 39 ). Il est nommé capitaine, « Pour sa bonne conduite au feu et pour la capacité démontrée pendant les combats du Bataillon du trois au sept avril » Il est de nouveau blessé lors de combats à Granja de Torrehermosa (Aragon) : fracture du péroné gauche. Il sera reconnu apte au front par la commission médicale du 1er octobre 1937 : OP3 D698.

Mis à la disposition de la Base d'Albacete, à une date non connue, il est affecté à la Garde Nationale, puis, le 1er octobre 1937, il est dirigé sur le centre de formation de la 14e Brigade à Villanueva de la Jara. 

Le 8 octobre, il est affecté au Bataillon Pierre Brachet, nouvellement formé, comme Commandant de la Compagnie espagnole (OJ n° 208). Il participe à la Bataille de Cuesta de la Reina. Le commandant du Bataillon, René NOLOT dans son récit le qualifie de « brave gars qui risque tout mais toujours en train de raller, un jour il m’explique que c’était de naissance. » Sur le front de Valdemorillo, front de position, il organise des coups de main avec la Compagnie des Pionniers. Proche des volontaires mais sans être démagogique - ainsi, il s'oppose à l'ouverture d'une cantine de vente de boisson réclamée par des sous-officiers - il en était apprécié. Il s'élève contre les excès de certains sous-officiers :

“Le commandant Sabatier, aux camarades sous-officiers ayant [porté des] motifs de punitions par excès d’autorité leur rappelle avec énergie les devoirs qu’ils ont envers les hommes et que dorénavant ils ne pourront prendre de sanctions sans en avertir leurs chefs responsables.” (le chroniqueur du Bataillon Pierre Brachet)

Pendant la relève du Bataillon, à l'Escorial, il donne des cours de théorie militaire pour que les volontaires puissent devenir sous-officiers. Il publiera dans Le Volontaire de la Liberté un petit article intitulé “Techniques militaires : utilisation du terrain”.

Il quitte la brigade sans autorisation et se rend à la Base d’Albacete. L’ordre du jour numéro 310 du 8 mars 38 confirme sa mutation du Bataillon Pierre Brachet à la Cie de Dépôt de la base d’Albacete. Il rejoint, ensuite, la 220e BM et participe aux batailles de cette Brigade.

Venant du front d’Extremadura, il rejoint le centre de démobilisation de Puebla Larga en novembre 1938. Sur son formulaire de démobilisation, il affirme avoir lu et étudié les treize points du gouvernement de Negrin. Il pense qu’ils reflètent

« la pensée de la majorité des espagnols et sont le but pour lequel lutte les classes du peuple espagnol. » « C’est une grande leçon donc on peut reprendre le dicton pour être fort soyons unis » et que c’est une bonne politique «parce qu’elle défend les intérêts des petits bourgeois et industriels, campesinos et ouvriers ainsi que les petits artisans »

Sur le même document, il estime que 

« les B.I. ont été l’exemple de l’unité et de la discipline militaire, son organisation militaire a été bonne. Quelques fois un manque de perfectionnement militaire et politique des officiers, nos commissaires ont été vraiment l’âme de ces brigades. » et qu’elles ont démontré « au monde entier que les hommes du monde entier [étaient] unis pour lutter contre le fascisme. »

Devant l'effondrement de la Catalogne, il passe la frontière et se retrouve interné au camp d'Argelès, puis dans le château-forteresse de Collioure, réservé aux réfugiés espagnols et aux brigadistes étrangers considérés comme de « fortes têtes ». Il est le seul brigadiste français à y être incarcéré. Il sera ensuite transféré au Camp de Gurs.

Entre temps, sa femme, retournée à Puertollano fut, selon le témoignage de sa fille  « emprisonnée et condamnée à mort, puis à trente ans et un jour de prison. Après de nombreux transferts de prisons, c'est à Durango, couvent-prison où les sœurs françaises, qui avaient assisté à l’assassinat de trois d' entre elles par les franquistes, pouvaient faire sortir des messages parmi lesquels celui de Angeles au consulat français. Elle fut libérée, fin 1941 car citoyenne française par son mariage. Après plusieurs péripéties, Emile la retrouve enfin et la réclame pour qu'elle arrive à Perpignan (1942). » (1)

La Résistance

« Au cours des combats du 4 au 12 juin 1940 dans la Somme et en Normandie il est agent de liaison ce qui lui vaut une citation à l'ordre du Régiment par le Général Huntziger. Il s'engage au sein de la MOI (adhésion donnée à Luis Castro - Colonel Dumont) dans les actions clandestines. Emprisonné à Montluc en décembre 1940, envoyé à Gafsa en Tunisie et au camp disciplinaire de Djelfa en Algérie, il organise des évasions des anciens des BI détenus. Il parvient à s'évader le 15 octobre 1941 et arrive à Paris en novembre. Recherché par la Gestapo à Paris, il revient en zone libre.

Du 1er janvier 1942 au 20 août 1944, il est l'organisateur de différents maquis. Luis Fernandez, César (généraux FFI), le nomment chef des Brigades de Guérilleros avec le grade de chef de bataillon et un effectif de 1 200 hommes et gradés dans les secteurs des Pyrénées Orientales, de l'Ariège, de l'Aude et de l'Hérault. Il organise des sabotages de voies ferrées, de centrales électriques et des embuscades. Le couple réuni depuis avril 42 habite Perpignan et leur logement a servi de point d'appui pour la Résistance et le passage des guérilleros. Malgré les souffrances vécues ils n'hésitent pas à prendre des risques dans une époque et une situation si périlleuses. Après l'attaque de voitures transportant des officiers allemands, il est arrêté par la Gestapo mais s'évade sur le trajet, place Arago à Perpignan, en juin 1944. Il rejoint le maquis de la vallée du Tech et, pour éviter des représailles à sa famille, il organise le départ d'Angeles et de ses deux enfants (2 et 16 mois) pour la maternité suisse de Montagnac, celle d'Elne ayant été fermée par la Gestapo. Emile participe à la libération de Valmanya (village martyr) lors de la libération des P.O (combat de Prades 28 juillet 1944, combat et prise de Foix les 17 et 18 août et de Céret le 20) et à d'autres opérations dans la Creuse et le Cantal.

Après la libération et jusqu'au 15 septembre 1945, il a continué à servir dans sa formation et a été incorporé au 172e R.I. comme capitaine de réserve. Le Ministère des Armées lui demande d'intégrer la Légion étrangère pour le corps expéditionnaire d'Indochine. Son refus catégorique répondait à ses valeurs de liberté pour les peuples, contraires au colonialisme mené en Indochine. Il fut cassé de son grade de capitaine des FFI et des listes de l'armée sans aucune retraite ni pension. » (1)

L'Espagne et la France au cœur

Le couple, Angeles et Emile, va poursuivre la lutte contre la dictature franquiste :

« Mon père, participa aux activités du réseau de passages vers l'Espagne ou vers la France, de dirigeants syndicalistes ou/et politiques, de tracts et de journaux clandestins comme Mundo Obrero, que ma mère avec d'autres recopiaient pour les envois en Espagne [...] Quant à ma mère elle partageait les activités de mon père, car notre domicile servait de point d’accueil, et lieu de passage. Elle participait comme responsable à l'association des "Mujeres antifascistas Españolas" et donnait des cours d'alphabétisation aux Espagnols arrivés pour les travaux saisonniers ou à ceux, républicains, qui n'avaient que des rudiments d'instruction ». « Ils ont autant aimé l'Espagne que la France et ont souhaité que leurs cendres unies, soient dispersées au col de la Manrella, sur la frontière qui sépare les deux pays, par leurs enfants et petits enfants » (1)

Sources

Campos, Angèle, fille d'Emile et d'Angeles Sabatier, témoignage (1) - RGASPI (Moscou, F.545. Op.3. D. 367, 422, 547 et 698. Op.6. D. 1389) - Service historique de la Défense (Vincennes GR 16P 528882)- Le Volontaire de la Liberté, n° 30 du 20 décembre 1937